Les serious games comme défense du jeu vidéo ? Non merci !

Serious games ?

Les serious games sont des jeux vidéo dont l’objectif est de transmettre une idée aux joueurs. Tous les jeux vidéo font inévitablement passer des idées au joueur, mais la différence est que dans le cas des serious games, le jeu vidéo n’est qu’un moyen d’atteindre un but qui lui est extérieur. En cela, les serious games sont l’équivalent vidéoludique de la publicité ou de la propagande. Un clip publicitaire utilise exactement les mêmes techniques et donc in fine le même média qu’un film, mais pour promouvoir un produit ou une marque. Le jeu vidéo étant également un média, un « serious game » est donc une œuvre de publicité/propagande réalisée à l’aide du média jeu vidéo. On devrait donc à mon sens plutôt parler de jeu vidéo publicitaire, de jeu vidéo de propagande ou de jeu vidéo éducatif (selon que le but soit commercial, idéologique ou éducatif).

Le jeu vidéo a bien sûr d’importantes différences par rapport à d’autres supports de communication comme par exemple une vidéo ou une affiche, ce qui fait qu’il peut être, selon les cas, plus adapté à la transmission de certains messages. Son coté interactif en particulier lui permet de faire comprendre facilement des processus relativement complexes en faisant expérimenter au joueur les conséquences de ses actes, puisque c’est le propre de l’activité ludique de  « faire l’exercice des possibles » (pour reprendre la formule de Jacques Henriot). Pour autant, le jeu vidéo n’est pas forcément adapté à toutes les objectifs de transmission d’information, notamment de par ses fortes contraintes pratiques.

Les serious games ne sont donc pas l’avenir de tout enseignement, communication ou propagande ; c’est un outil disponible parmi d’autres, qui a ses forces et ses faiblesses. Il peut être très efficace, à condition de bien comprendre que c’est dans le gameplay que doit être le message, et non un simple habillage autour d’un gameplay quelconque. En ce sens, un jeu au gameplay très riche comme SimCity véhicule beaucoup plus efficacement une idéologie que n’importe quel jeu de tir dans lequel le joueur doit tuer des méchants communistes/islamistes ((Sur SimCity, lire par exemple Une ville à plusieurs vitesses de Tony Fortin)). Ce qui reste d’une expérience de jeu, c’est avant tout le processus intellectuel qu’il a mis en œuvre, la conception du monde véhiculée par le gameplay lui-même et non par son habillage scénaristique.

Faut-il soutenir la création de serious games ?

En mai 2009, le gouvernement UMP avait lancé un appel à projets « Serious Gaming et Web 2.0 », avec à la clé 20 m€ d’aide au financement accordé pour les serious games. Le Syndicat National du Jeu Vidéo s’est bien sûr réjoui de cette mesure (la moitié des projets sélectionnés émanant de studios français) –  toute subvention est bonne à prendre – tout en mettant en garde contre le risque de « coup isolé » ((Le SNJV réagit aux résultats de l’appel à projets serious gaming du gouvernement http://www.snjv.org/snjv-reagit-aux-resultats-appel-projets-serious-gaming-gouvernement,89.html?actu_page_8=10)). Mais plus largement, la question qu’a soulevée cette initiative (enfin qu’elle aurait dû soulever en tout cas) est de savoir s’il faut soutenir la production de serious games.

A mon avis non, pas plus que n’importe quelle autre production. Si les jeux à vocation éducative peuvent être utilisés dans certains cas pédagogiques, pourquoi pas, mais cela passera alors sans doute principalement par un soutien à la recherche (la vraie, c’est-à-dire la recherche publique) autour de la pédagogie par le jeu vidéo. Mais soutenir la production de serious games en général, c’est-à-dire aujourd’hui principalement une industrie publicitaire (et dans une moindre mesure de propagande), cela ne va pas dans le sens de l’intérêt général que doit défendre la puissance publique.

Le piège des serious games comme faire valoir du jeu vidéo

Pourquoi cet engouement (tout relatif) en faveur des serious games de la part des représentant de l’industrie et des élus ?

Comme hier les jeux « ludo-éducatifs », les serious games servent aujourd’hui souvent de défense à l’industrie du jeu vidéo face aux critiques axées sur les contenus des jeux vidéo (la violence en particulier), sous une forme que l’on pourrait résumer ainsi : « oui, il y a des jeux vidéo violents, mais regardez, il y a aussi des jeux éducatifs, alors les jeux vidéo sont bons ».

Cette défense relève d’une erreur stratégique totale et d’un fourvoiement idéologique total, puisque de fait elle accepte l’argument selon lequel la violence du contenu d’un jeu vidéo serait le problème central posé par les jeux vidéo. Or, comme l’actualité politique le montre (depuis quelques années en particulier), accepter de débattre sur le terrain idéologique (c’est-à-dire sur les termes du débat) de son adversaire, c’est avoir déjà perdu la bataille des idées, et donc a long terme la bataille politique. De plus, dans ce cas précis, la défense du jeu vidéo par l’argument des serious games ne tient pas longtemps une fois confronté à la réalité de que représentent aujourd’hui les serious games en termes de contenu, de poids économique ou de diffusion.

 

Donc oui, défendons la création française de jeu vidéo, mais laissons les serious games en dehors de ce débat.

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