Propositions pour une refonte des aides à la presse

Bien que leur montant ne cesse d’augmenter, le constat reste le même depuis 30 ans : les aides à la presse n’atteignent pas leur objectif ((Voir par exemple Aides à la presse, un scandale qui dure, Sébastien Fontenelle, le Monde diplomatique, novembre 2014 ou Éditocrates sous perfusion : une gabegie « oubliée » par les médias dominants du même auteur, Acrimed, Septembre 2014)) : la qualité et la pluralité de l’information se dégrade à mesure que les journaux mettent la clé sous la porte ou s’engouffrent dans le cercle vicieux de la recherche perpétuelle d’investisseurs pour combler leur déficit.

Si le système actuel est très largement critiqué, les propositions alternatives sont relativement rares. On peut citer les propositions du SPIIL ((Pour un nouvel écosystème de la presse numérique)) pour une suppression des aides directes et une réorientation vers le numérique des aides indirectes, celles formulées par Pierre Rimbert dans le dernier numéro du Monde Diplomatique ((Projet pour une presse libre par Pierre Rimbert, le Monde Diplomatique, décembre 2014)) pour la mise en commun des infrastructures financée par une cotisation information ou encore les propositions variées d’Acrimed ((Transformer les médias : Nos propositions, Acrimed)). Voici une autre contribution au débat, orientée sur les aides directes.

I Objectifs : pourquoi aider financièrement la presse ?

Il faut tout d’abord réaffirmer la nécessité de refonder un véritable service public de l’information, correctement financé et avec un maximum de garanties statutaires pour le rendre l’information produite indépendante autant que possible du pouvoir politique ((Regarder par exemple la vidéo pour un service public de l’information et de la culture, par Henri Maler, le 2 mars 2012)). Cependant, quelles que soient les qualités de ce nouveau service public refondé, il ne saurait totalement remplacer une presse d’initiative privée.

Il faut ensuite partir de deux constats :

Premier constat : un collectif organisé (entreprise, association) ne peut répondre correctement à deux objectifs lorsque ceux-ci sont potentiellement contradictoires. Or c’est bien ce que l’on demande aujourd’hui aux grands médias privés :

  • Les lecteurs (et d’une manière plus générale, la société) leur demandent de produire une information de qualité et d’être un contre-pouvoir ((Le droit à l’information, ses conditions et ses conséquences, par Henri Maler, le 27 octobre 2014)).
  • Les propriétaires de médias leur demandent de servir leur intérêts particuliers, c’est-à-dire : de maximiser leur profits (ou de minimiser les pertes), de d’améliorer leur image personnelle ou celle de leur(s) société(s), et de promouvoir leurs autres activités économiques.

Ces deux objectifs sont fréquemment en conflit. Et c’est un problème structurel auquel aucune « charte d’éthique » ou « code de bonne conduite » ne pourra correctement répondre, puisqu’il rejette la responsabilité sur les individus. C’est donc une réponse elle-même structurelle qui est nécessaire pour répondre à ce problème.

Deuxième constat : certains médias, bien que jouant parfaitement le rôle d’intérêt général que la société attend d’eux, ne sont pas viable économiquement.

Il faut donc trouver un moyen pour que les médias qui remplissent leur rôle social soit viables économiquement, et cela passe par des aides publiques à la presse, ou plus précisément à un certain type de presse.

II conditions

Il faut donc accepter qu’une entreprise (au sens de collectif de travail, quelle que soit sa forme juridique), doive choisir quelle est sa raison d’être principale : informer ou faire du profit.

S’il s’agit d’informer les citoyens, c’est une mission d’intérêt général, et un soutien de la puissance publique est envisageable. S’il s’agit de faire du profit, c’est un objectif tout à fait légitime, mais il est alors également tout à fait légitime qu’elle ne bénéficie pas d’argent public.

Il faut donc poser comme condition préalable à toute aide publique que la structure financée n’ait pas comme objectif la réalisation de profit. C’est-à-dire concrètement, qu’il s’agisse d’une entreprise (ou association) à but non lucratif ou une entreprise coopérative de type Société coopérative et participative (SCOP) ou société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), cette dernière ayant l’avantage de pouvoir statutairement associer les usagers à la gestion de l’entreprise.

On pourrait également imaginer que des entreprises à but lucratif bénéficient d’aide à la presse si elles effectuent effectivement une mission d’intérêt général. Pour cela il faudrait que pour une entreprise de presse à but lucratif les aides soit conditionnées par des restrictions importantes sur son capital, la composition et les rémunérations des salariés, l’absence de sous-traitance éditoriale, etc. à l’image des restrictions qui s’appliquent aux entreprises de l’économie sociale et solidaire (sans que les restrictions soient les mêmes). L’allocation d’aide à de telles entreprises peut être utile dans une phase de transition, les aides ne devant rapidement être attribuées qu’à des entreprises à but non lucratif.

La forme actuelle d’entreprise classique, qui a donc a priori pour objectif déclaré la réalisation de profit resterait bien sûr toujours possible pour n’importe quel média, sans restrictions particulières. Mais elle ne pourrait être considérée comme une entreprise de presse d’intérêt général, et ne bénéficierait donc pas de de financement public spécifique. Cela ne veut pas dire que des entreprises classiques ne peuvent pas employer des journalistes et produire de l’information de qualité (Arrêt sur Images ou Mediapart sont SAS classiques par exemple), elles le feront simplement sans aide publique.

III Quels critères pour quels montants ?

Il serait possible de partir de l’existant et de chercher à l’améliorer, mais le système d’aide à la presse actuel étant opaque, obsolète et assez unanimement décrié, il est plus souhaitable de d’abord penser un tout nouveau système et de penser ensuite l’éventuelle transition depuis le système actuel.

Avant d’imaginer ce que donnerait finalement le mode de calcul du montant de l’aide proposée ci-après, il faut bien avoir en tête que le mode de calcul des aides et les conditions requises à leur attribution sont intrinsèquement liés ; appliquer le nouveau mode de calcul sans tenir compte des nouvelles conditions ne répondrait absolument pas aux objectifs des aides à la presse.

Les principes

Une fois les conditions posées, la principale question est celle du montant de l’aide attribuée à chaque média. Cette question n’est évidemment pas une question technique, c’est une question de choix politiques. Il faut donc expliciter les nombreuses questions politiques que pose la question du montant des aides, en partant des principes généraux, puis en descendant aux questions plus techniques pour remonter aux questions politiques qu’elles posent.

Transparence

Tout d’abord, il faut poser comme principe que le montant des aides doit être doublement transparent : transparent dans son montant (comme c’est le cas depuis peu), mais surtout transparent dans son mode de calculs. Autrement dit, il ne faut pas que le montant de l’aide versée à un média dépende d’une appréciation subjective. C’est d’une part une source possible de corruption, de trafic d’influence ou simplement de d’orientation des aides en fonction d’objectifs partisans. D’autre part, quelle que soit le type de structure, les médias sont soumis à des objectifs de rentabilité ou d’équilibre financier, le montant des aides doit donc être prévisible.

Financement uniquement de l’information

L’argent public doit financer uniquement l’information et non les autres types de contenu éventuellement véhiculés par le média, en particulier, la publicité, les petites annonces, etc. Le montant de l’aide doit donc être indexé sur le % d’information par rapport au contenu total du média.

Indépendance par rapport au support

La puissance publique aide au financement du contenu, indépendamment de son mode de diffusion, que l’information soit diffusée sur papier, en ligne, sur téléphone, sur tablette,  etc. du moment que le contenu est accessible à tous. Cela n’est donc vrai que si le contenu est potentiellement disponible pour la majeure partie de la population, sans restriction quant à son équipement. Par exemple, un media disponible uniquement sur une plateforme fermée comme l’App Store d’Apple devra bénéficier d’aides réduites par rapport à un média accessible sur Internet ou envoyé par la Poste.

Favoriser la pluralité

Si un des objectifs des aides à la presse est de permettre une information de qualité pour des citoyens éclairés, cela passe par une pluralité de médias capables d’informer, de faire réfléchir et de susciter des débats de fond. Qui dit pluralité dit pluralité d’opinion politique bien sûr, mais plus largement pluralités d’approche, de traitement et même de sujet des médias. Il faut partir du principe que c’est dans la contradiction et le débat que se forgent les choix pleinement réfléchis. Les aides à la presse doivent donc favoriser l’émergence et la pérennité de médias à audience faible, pour éviter que des médias ne restent dominants uniquement grâce à leur position dominante.

Les index

Ces principes généraux posés, on peut rentrer dans le vif du sujet : le calcul du montant de l’aide, et les questions que cela pose. Puisque l’on vise un mode de calcul transparent, il faut partir des diverses données sur le média afin de déterminer le montant de l’aide.

Audience

Par audience, on entend le nombre « d’utilisateur » du média : lecteurs pour un journal papier, visiteurs uniques pour un site web, auditeurs pour une station de radio, spectateurs pour une chaine de télévision, etc. L’audience d’un média doit être un critère fondamental du calcul du montant de l’aide. Si l’on voit bien les effets pervers que pourraient avoir des aides basées uniquement sur l’audience d’un média (comme c’est dans une certaine mesure le cas pour les revenus publicitaires), on ne peut imaginer des aides totalement déconnectées de l’audience. Il faut par ailleurs toujours avoir en tête que les conditions imposées aux aides changent de manière importante la donne. Afin de favoriser le pluralisme, les aides doivent croitre rapidement avec l’audience lorsque celle-ci est faible, puis progressivement de moins en moins pour finalement quasiment plafonner lorsque l’audience est importante.

Quantité de contenu : nombre de pages / signes / minutes de vidéo / etc.

Dans l’optique d’aider au financement du contenu, on peut envisager d’indexer les aides sur la quantité de contenu : un média comportant deux fois plus de contenu qu’un autre mériterait une aide plus importante. L’idée est séduisante, mais pose deux problèmes : d’abord, cela génèrerait un effet pervers qui inciterait les médias à créer un maximum de contenu, sans doute au détriment de la qualité, ou même à faire du remplissage à coup de contenu bon marché. Ensuite, sur l’aspect pratique : Si pour un hypothétique journal papier ne comportant que du texte, le calcul est faisable, dans la plupart des cas réels calculer de manière juste la quantité de contenu s’avère pratiquement impossible : comment comparer du texte à une vidéo ou une illustration, qui peut parfois faire partie de l’information, parfois n’en n’être qu’un élément décoratif, parfois même être le cœur de l’information (comme une carte légendée par exemple). La quantité de contenu ne doit donc pas être prise en compte dans le montant de l’aide.

Ratio publicitaire

Un média ne comportant aucune publicité recevra 100% du montant de l’aide. Il faut ensuite déterminer la dégressivité en fonction du ratio de publicité. On peut par exemple imaginer qu’un média papier comportant plus de 30% de publicité ne touchera rien alors qu’un média comportant 15% de publicité verra le montant de l’aide divisé par deux.

Prix

Puisque l’objectif est de favoriser l’accès du plus grand nombre a des médias de qualité, la question du prix de vente de pose, de deux façons : 1)  L’Etat doit-il financer un média que le tarif élevé rend inaccessible à de nombreux citoyens ? 2) Un média gratuit, qui n’est donc pas financé du tout par son audience, peut-il avoir un modèle économique sain ?

Mêmes si c’est questions sont pertinentes, le prix de vente ne doit pas rentrer en compte dans le calcul. Sur le 1) : les aides n’étant pas indexées sur le prix de vente mais sur l’audience, on peut supposer que plus le tarif d’un média est cher, plus son audience sera faible, et donc plus le montant de l’aide le sera également, ce qui incite les médias à opter pour un prix de vente accessible. Sur le 2) Compte-tenu des restrictions imposées pour bénéficier des aides d’une part (restrictions sur le capital), et du point précédent (indéxation négative sur la publicité) d’autre part, ce cas ne devrait pas se présenter.

Périodicité

Doit-on favoriser une certaine périodicité de l’information par rapport à d’autres ? Il est certain que produire une information quotidienne ne requiert pas les mêmes efforts qu’une information mensuelle (et cela ne répond par ailleurs pas aux mêmes fonctions). On peut imaginer un coefficient pour les quotidiens, un pour les hebdos, etc. On voit immédiatement que la question est complexe concernant les sites Internet, dont la quasi-totalité est alimentée en continu. On pourrait cependant du coup les considérer comme quotidien, mais comment alors traiter un site Internet mis à jour de manière irrégulière ou à une faible fréquence ? Par exemple le site Arrêt sur Images, produit quelques articles par jour, mais son programme phare est son émission vidéo, hebdomadaire. Pour unifier de manière simple tous les modes de diffusion et fréquences de publication, on peut unifier ces modes de diffusion en ne considérant pour tous que l’audience mensuelle.

Mode de diffusion

Comme indiqué dans les principes, les aides doivent être indépendantes du support de diffusion. La puissance publique n’a pas a priori à favoriser le papier au numérique ou inversement. De même, qu’un journal soit porté à domicile, acheté en kiosque, ou reçu par la poste, le montant de l’aide soit être identique. Il faut par contre réduire le montant de l’aide si le média n’est pas disponible dans un format accessible à tous, par exemple uniquement sous la forme d’une application pour iPhone.

Type de presse : grand public général, grand public spé, pro

Quel type de presse doit-on aider ? On peut considérer qu’il existe trois catégories de presse : la presse d’information générale et politique, la presse spécialisée grand public, et la presse professionnelle. Il semble évident que la première catégorie, qui doit jouer un rôle majeur pour la qualité du débat public, doit être soutenu. De même, la presse professionnelle ne doit évidemment pas l’être. La question de la presse spécialisée se pose : une publication (qui respecte toutes les conditions énoncées en II et traitant du cinéma, du jeu vidéo, de la pêche à la ligne, de l’automobile, ou du maquillage, améliorant ainsi la qualité de l’information des citoyens sur un sujet précis, doit-elle être soutenue par la puissance publique ?

Non, d’abord pour une raison pratique, la différence entre cette catégorie et la presse professionnelle est souvent floue, et vu le nombre de publications, le travail d’arbitrage s’avérerait assez compliqué. Mais surtout, étant spécialisée, cette presse ne relève par définition pas de l’intérêt général au même niveau que la presse d’information générale.

Aide au lancement

Lancer un nouveau média pose des difficultés supplémentaires : d’une part l’entreprise doit supporter de nombreux frais d’investissement (création graphique, maquettage, développement, frais administratifs, etc.) et d’autre part, le temps de se faire connaitre avant d’éventuellement trouver son public les recettes liées à la vente sont moindres. Ces difficultés peuvent constituer une barrière à l’entrée pour un média qui serait pourtant, une fois cette période de lancement passée, viable. Or si les aides sont directement liées à l’audience, elles ne permettent pas de passer cette période de lancement.

Il faut donc les compléter par une aide à l’investissement pour le lancement d’un nouveau média. Cette barrière à l’entrée peut être en partie levée par la mise à disposition de certains moyens matériels pour le lancement de nouveau média, ou par un fond d’investissement public.

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