Propositions pour une presse libre

La liberté, l’indépendance et le pluralisme de la presse constituent des éléments essentiels d’une société  démocratique. Mais pour que ces principes soient effectifs, il est nécessaire de mettre en place un cadre législatif, politique et fiscal adapté. Et les propositions ne manquent pas, qu’elles émanent d’associations (Acrimed), de syndicats (SPIIL, SNJ, SNJ-CGT), de parlementaires, de chercheurs ou de simples citoyens ! En voici donc une synthèse, qui je n’en doute pas servira de source d’inspiration clé en main pour les programmes des candidats aux élections de 2017.

Médias privés

Société de presse à but non lucratif

Il est nécessaire de faire la distinction entre les sociétés ayant comme objectif principal d’informer les citoyens de celles ayant pour objectif de réaliser du profit. Pour cela, il faut créer un statut de société de presse à but non lucratif, assorti de contraintes sur la répartition des actions, des profits et des rémunérations et sur le statut des rédactions. Une fois créé, seules les entreprises ayant optées pour ce statut bénéficieront d’un certain nombre de mesures nouvellement créées ou actuellement ouvertes aux entreprises à but lucratif (aides à la presse).

Mutualisation de ressources

Afin de réduire le coût de l’information sans en réduire la qualité, l’idée est de mutualiser tous les services « support » nécessaires à la diffusion de l’information : services administratifs, comptables, juridiques, commerciaux, plate-forme commune d’abonnement, de paiement et de gestion de bases de données, développeurs informatiques, et le réseau de kiosques. La masse salariale des entreprises de presse se réduirait aux seuls journalistes. Afin d’éviter de dépendre trop directement de l’état, ces infrastructures seraient financées par la cotisation.

Licence globale

Afin de concilier la gratuité de l’accès aux médias et leur indépendance vis-à-vis de la publicité, des actionnaires et de l’Etat, il faut mettre en place une licence globale permettant un financement indépendant et pérenne de la presse.

Exonération de certains impôts / cotisations pour les nouvelles sociétés de presse

Afin de facilité la création de nouveaux médias, toute entreprise de presse à but non lucratif non rentable est exonérée de certains impôts, taxes et cotisations, à la manière des « Jeunes entreprises innovantes », pendant les premières années d’activités.

Refonte des aides à la presse

Les aides à la presse n’atteignent pas leurs objectifs, il faut donc modifier les modalités de leur attribution. Selon l’ambition de la refonte envisagée, on peut prévoir :

  1. De simplement rendre complètement transparent le mode de calcul de leur montant
  2. De supprimer les aides aux magazines télé ((Télé 7 joursa touché en 2014 près de 5M€, Télé Star et Télé Loisirs plus de 3M€ chacun, etc. cf En attendant la réforme, les aides à la presse varient peu par Frantz Durupt, Gurvan Kristanadjaja et Julien Jégo, Libération, 12 juin 2015))
  3. D’y intégrer les médias en ligne
  4. De supprimer totalement les aides directes au profit des indirectes
  5. De favoriser les médias indépendants
  6. De les rendre inversement proportionnelles à la quantité de publicité
  7. De les réserver aux sociétés de presse à but non lucratif
  8. De les supprimer totalement, au profit d’une licence globale

Favoriser l’investissement dans les médias via des allégements fiscaux

Les entreprises de médias (numérique ou papier), anciennes ou récentes souffrent toutes d’une sous-capitalisation qui freine leur développement les rends vulnérable. Afin de réduire leur vulnérabilité, il faut exonérer les investissements dans les entreprises de presse (dans des conditions de participation garantissant l’indépendance rédactionnelle) et faciliter la création de fonds propres.

Fond d’investissement pour les nouveaux médias

La création d’un nouveau média, quel que soit son support, nécessite un investissement important pour financer d’une part le lancement du média (matériel et développement informatique, dépôt de nom, logo, promotion…) et surtout pour payer les salaires le temps que le titre atteigne une audience suffisante pour être rentable. Afin que toute création d’un nouveau média ne dépende pas uniquement de la volonté de détenteur de capitaux, un fond d’investissement public pour les nouveaux médias doit être créé. Il pourrait être géré par le nouvellement créé Conseil National des Média.

Service public

Réintroduction de la pub sur France Télévision après 20h

La suppression de la publicité sur France Télévision a eu pour effet direct de réduire les moyens alloués à France Télévision et de reporter ces budgets publicitaires sur les chaines privées. Réintroduire la publicité après 20h sur les chaines publiques permettrait de rééquilibrer en leur faveur le rapport de force économique actuel entre les chaines publiques et les chaines privées.

Elections des présidents de chaine / radio publics par leurs salariés

S’ils ne sont plus aujourd’hui directement nommés par le pouvoir, les présidents des médias publics le sont par le CSA … lui-même composé de membres désignés par le pouvoir exécutif et législatif. Afin d’augmenter l’indépendance des médias publics face au pouvoir, les dirigeants de médias publics doivent être élus par les salariés du groupe.

Initiation à la critique des médias à l’école

L’éducation aux médias et à l’information est inscrite dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’Ecole de la République (juillet 2013) et affiche de hautes ambitions que l’on ne peut que partager : « Il s’agit de faire accéder les élèves à une compréhension des médias, des réseaux et des phénomènes informationnels dans toutes leurs dimensions : économique, sociétale, technique, éthique ». Il faut d’une part donner à l’Education Nationale les moyens de ses ambitions, et d’autre part rendre ces modules éducatifs obligatoires à tous les niveaux.

Abrogation des décrets « Tasca » sur les quotas de production privées.

Les décrets Tasca obligent les chaines publiques à réserver un quota obligatoire de productions privées. Alors qu’une production interne des œuvres audiovisuelles par les chaînes du service public confère leur permettent de respecter strictement les valeurs éditoriales de la chaîne et constitue une source de revenu grâce à la commercialisation de ces œuvres.

De plus, cette obligation entraîne trop souvent le développement artificiel de sociétés de production dont l’activité est assurée sur le dos de l’audiovisuel public tout en profitant abusivement du statut des intermittents. Il faut garantir à l’audiovisuel public la possibilité d’assurer en interne le financement et la production d’une majorité de ses fictions et documentaires.

Revenir sur la privatisation de TF1

La privatisation de TF1 en 1986 était assortie d’engagements de son repreneur, Bouygues, à produire du « mieux-disant culturel », en échange de la concession qui lui était accordée. Ces engagements n’ont pas été tenus. Il faut donc revenir sur cette concession, soit en ouvrant à nouveau un appel d’offre, soit en réintégrant TF1 dans le service public.

Régulation

Obligation de publication des actionnaires

La liste des propriétaires détenant plus de 10% du capital de tout média doit être publiée de manière facilement consultable.

Lois anti-concentration

Différentes lois visent actuellement à limiter la concentration du contrôle des médias dans les mains de trop peu de personnes physiques ou morales. Cependant, elles ont été largement assouplies depuis quelques années d’une part, et d’autre part, elles ont été pensées avant Internet et ne sont donc plus adaptées. Établir de de nouvelles lois anti-concentration permettrait de régler ce problème.

Loi sur le capital des médias

Interdire à une personne physique ou morale de posséder plus de X% du capital d’un média s’il possède d’autres activités à but lucratif par ailleurs.

Interdiction de détenir un groupe de presse quand on fait des affaires avec l’État

Afin d’éviter les conflits d’intérêts, il faut interdire la participation à tout marché public à une société dont les propriétaires sont également propriétaire d’un média. Inversement, toute société participant à des marchés publics ne peut détenir de part dans un média.

Refonte du CSA / Remplacement du CSA par un Conseil National des Médias

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est organisme-fantoche inféodé au pouvoir politique et assujetti aux entreprises médiatiques. De plus son organisation est totalement inadaptée aux médias Internet et multi-support. C’est pourquoi un Conseil national des médias (CNM), entièrement redéfini dans ses missions et sa composition, doit être institué.

En finir avec le CSA ! Pour un Conseil national des médias… de tous les médias, Henri Maler, Acrimed, 6/2/2012

Interdiction de la publicité pour les enfants

Les enfants percevant moins bien la différence entre information et publicité, la publicité à destination des enfants affectent leur comportement plus que les adultes, avec souvent des effets néfastes. Il faut donc interdire la publicité autour d’émissions ou de contenus destinés aux enfants ou à destination des enfants.

Journalistes et conditions de travail

Protections des sources

Il est nécessaire de garantir la protection des sources aux journalistes, aux collaborateurs des rédactions et aux lanceurs d’alerte et pour que les journalistes puissent mener des investigations et sortir des affaires au grand jour. Les conditions permettant de lever le secret des sources doivent être très restrictives et toujours nécessiter l’intervention obligatoire d’un juge des libertés.

Suppression de l’avantage fiscal des journalistes

L’avantage fiscal des journalistes (déduction de 7 650 € de leur revenu imposable) entretient auprès du public l’idée que les journalistes font partie d’une “caste” de privilégiés. Il doit donc être supprimé, et l’économie pour l’Etat ainsi réalisée doit être utilisée pour améliorer le salaire et les conditions de travail des journalistes les plus précaires.

Statut juridique des rédactions

Les responsables éditoriaux doivent être élus par les journalistes et doivent bénéficier de la même protection que celle dont bénéficient les délégués du personnel. Autre possibilité moins ambitieuse : la désignation d’un responsable éditorial par l’actionnaire doit se soumettre à un droit de veto de la rédaction, par le biais d’un scrutin à bulletin secret.

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