Ce que nous apprend la polémique sur Assassin’s Creed Unity

Ce n’est pas mon habitude de réagir à l’actualité sur ce blog qui traite plus de questions de fond, mais les critiques de membres du Parti de Gauche envers Assassin’s Creed Unity me semblent soulever des questions intéressantes.

Deux problèmes dans la critique formulée par le Parti de Gauche

Pour évacuer rapidement deux faiblesses dans la critique faites par les responsables du Parti de Gauche :

1. Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière commettent une première erreur de communication car d’après ce qu’en rapporte la presse, leur critique d’Assassin’s Creed Unity se base sur une bande annonce du jeu publiée en juillet à l’occasion de la Comic Con, réalisée par Rob Zombie ((Assassin’s Creed Unity – Comic Con Revolution Trailer [Vost FR])).

Le trailer est effectivement dégueulasse, à la fois sur la forme et sur le fond. Sur la forme, c’est dans un style comic animé extrêmement gore, assez logique vu que Rob Zombie est réalisateur de films gore et que le trailer a été réalisé pour la Comic Con. On aime ou on n’aime pas, dans tous les cas c’est un choix artistique sur lequel il n’y a pas grand-chose à dire. Par contre sur le fond, je ne peux là qu’être d’accord avec Alexis Corbière lorsqu’il écrit sur son blog :

« Le Peuple de Paris est présenté pour une cohorte brutale et sanguinaire, c’est lui qui produit la violence, toujours lui qui de façon aveugle fait couler le sang, notamment du bon roi débonnaire. Comme de coutume, la caricature le plus bestiale concerne Maximilien Robespierre qui est présenté comme ‘bien plus dangereux que n’importe quel roi’, ‘des familles entières furent détruite à cause de Robespierre’, cette vidéo va même jusqu’à affirmer qu’avec lui ‘il y eut des centaines de milliers de morts et des rues entières remplies de sang » ((Les créateurs d’Assassin’s creed unity véhiculent une propagande réactionnaire sur la Révolution Française, Alexis Corbière, 13/11/14.)).

Une vision on ne peut plus réactionnaire de la Révolution française. Préciser que la critique se basait principalement sur ce trailer aurait permis d’éviter le seul contre-argument a peu près recevable à leur critique « vous jugez sans avoir joué au jeu », « le jeu n’est pas pareil », etc. Cela dit, il s’agit bien d’un trailer officiel, créé à la demande d’Ubisoft, validé et diffusé par Ubisoft, on peut donc penser qu’il leur convenait. Et surtout, le reste du jeu est tout aussi orienté idéologiquement, comme l’explique en détail Alexis Corbière dans une nouvelle note de blog ((Toujours à propos d’Assassin’s Creed Unity : quatre réponses à des remarques, Alexis Corbière, 17/11/14)).

2. Le terme utilisé par les deux membres du Parti de Gauche est le terme de « propagande ». Or la propagande est une « action systématique exercée sur l’opinion pour lui faire accepter certaines idées ou doctrines ». Le mot important est ici le mot « pour » : pour qu’il y ait propagande, il faut qu’il y ait une intention d’influence idéologique. Je ne pense pas que quiconque chez Ubisoft se soit dit « nous allons grâce à notre jeu salir l’image de la Révolution française et de Robespierre ». Parler de propagande donne donc une totalité un peu complotiste au propos, ce qui atténue  inutilement sa portée.

Une réalité sur le fond

Mais sur le fond, la question du traitement historique de la Révolution dans le jeu est évidemment intéressante. Un des producteur du jeu affirme qu’ « Assassin’s Creed Unity est un jeu vidéo grand public, pas une leçon d’Histoire ». C’est vrai, mais personne ne reproche à Assassin’s Creed Unity de ne pas être historiquement juste ; c’est une fiction et il est normal qu’elle prenne des libertés avec la réalité historique. Ce n’est pas pour autant que le jeu ne véhicule pas une vision forcément politique de la Révolution. Toute œuvre de fiction est porteuse d’une vision du monde et encore plus lorsqu’elle se rattache directement à l’Histoire. D’ailleurs, Antoine Vimal du Monteil, un des producteurs du jeu déclare que « la Révolution n’est que la toile de fond » ((« Assassin’s Creed Unity est un jeu vidéo grand public, pas une leçon d’histoire », interview d’Antoine Vimal du Monteil par William Audureau, lemonde.fr, 13/11/14)) d’une histoire personnelle autour du héros, elle n’est qu’accessoire. Les auteurs avaient donc d’autant plus de liberté dans le traitement de celle-ci, et dans le choix des évènements réels auxquels l’intrigue se rapporte, comme l’explique Jean-Luc Mélenchon sur son blog. ((Le lendemain et même ensuite, Jean-Luc Mélenchon, 17/11/2014)).

Pour mûrir, le jeu vidéo doit accepter que, tout en restant incontestablement un divertissement, il est un média à part entière, et donc potentiellement un art et qu’il peut être porteur de message politique, et cesser de croire en la possibilité d’une neutralité idéologique. Ce n’est pas parce que l’objectif premier d’une grande majorité de jeux est le divertissement et non la transmission de valeurs qu’il n’y en a pas pour autant. Les polémiques récentes sur le sexisme dans le jeu vidéo l’ont bien montré. Le cinéma l’a accepté depuis longtemps et personne ne s’offusque lorsque l’on critique les partis-pris idéologiques d’un film. Les réactions aux déclarations de membres du Parti de Gauche, en particulier dans la « presse » spécialisée, montrent que beaucoup de chemin reste à faire à ce niveau-là.

L’analyse du contenu idéologique d ’Assassin’s Creed Unity ne nous apprendra sans doute pas grand-chose sur la Révolution française, ce n’est en effet pas un livre d’Histoire (ou une conférence d’Henri Guillemin), par contre il peut nous en apprendre beaucoup sur l’idéologie dominante dans le milieu de ses développeurs. En effet puisque les développeurs et scénaristes du jeu n’ont sans doute pas volontairement orienté politiquement le jeu, le résultat est à l’image de que qui forme le « neutre idéologique » apparent, c’est-à-dire l’idéologie dominante. Et à ce niveau, c’est donc révélateur (et assez inquiétant) de la vision que les nord-américains (l’essentiel du développement est fait à Montréal) ont de la Révolution française. Il est important d’une part de critiquer cette vision réactionnaire, de la démonter et de la dénoncer, ce qui ne présage par ailleurs rien des qualités vidéo-ludiques du jeu. Une analyse de l’idéologie des jeux vidéo qui reste à faire, jeu par jeu. D’autre part, il faut agir pour favoriser la diversité de la création mondiale de jeu vidéo et éviter son uniformisation, par exemple en créant un Centre National du Jeu vidéo.

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