Archives par étiquette : Jeux Vidéo

Analyse du rapport du Sénat sur le jeu vidéo français

Le Sénat vient de publier un rapport d’information de MM. André Gattolin (Europe Écologie Les Verts) et Bruno Retailleau (Union pour un mouvement populaire), fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et de la commission des affaires économiques intitulé « Jeux vidéo : une industrie culturelle innovante pour nos territoires ». Que penser de ce rapport ?

Un rapport juste et précis.

D’abord, et c’est à mon sens le point essentiel à soulever, notamment au regard des commentaires de la presse spécialisée (mais je reviendrai là-dessus), le rapport dresse globalement un constat tout à fait juste et équilibré du secteur du jeu vidéo en France aujourd’hui. Ce rapport montre bien qu’il n’y a pas ici de fossé entre les élus et la « réalité », soit ici le monde du jeu vidéo, comme ce dernier pourrait le croire. Julien Villedieu, délégué général du Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV), a par exemple déclaré sur Twitter, à l’occasion de la publication du rapport :

« Votre rapport cerne parfaitement les enjeux et besoins de la production de #jeuvideo en FR »

Cela dit, les rapports parlementaires, contrairement aux rapports de la Cour des comptes ou aux rapports commandés à une « célébrité », sont souvent d’une grande justesse concernant le constat. Ce rapport reprend d’ailleurs certains éléments toujours d’actualité présents dans les rapports précédents (comme le rapport de M. Martin Lalande sur le statut juridique du jeu vidéo).

Malgré les critiques que je formule par la suite, l’essentiel est bien là : ce rapport a parfaitement saisi les enjeux du secteur du jeu vidéo français.

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Le jeu vidéo est-il un art ?

Dans le cadre de mes travaux actuels, on m’a régulièrement posé la question : « mais alors, tu penses que le jeu vidéo est un art ? ». Pour répondre à cette question, on pourrait, en fonction de la réponse que l’on souhaite obtenir, prendre la définition du jeu vidéo qui nous arrange, puis la définition de l’art qui nous arrange, et regarder si ça fonctionne1. J’ai ici choisi une autre approche.

Une part importante de la culture

Tout d’abord, il est un fait indiscutable mais qu’il est néanmoins important de souligner : le jeu vidéo est aujourd’hui un élément majeur de la culture. Cantonné à ses débuts à un public très limité de jeunes garçons / adolescents masculins, son public s’est aujourd’hui diversifié en termes d’âge, de genre et de classe sociale du public (et il continue de de diversifier) même si son noyaux historique reste encore surreprésenté parmi les joueurs et joueuses. D’autre part, les jeux vidéo intègrent en leur sein de nombreux éléments de leur environnement culturel, passé (consciemment) ou présent (consciemment ou inconsciemment), et en retour influencent de nombreuses œuvres d’autres domaines, cinématographiques en particulier.

Cette place importante du jeu vidéo dans la culture a, comme pour toute nouvelle culture populaire (dans le sens d’une pratique rencontrant un grand succès) à ses débuts, a suscité un large rejet par les élites réactionnaires, et le jeu vidéo est encore aujourd’hui sujet de fréquentes controverses ineptes « pour ou contre le jeu vidéo ». En réaction à leur tour, les acteurs de l’industrie du jeu vidéo ont développé une stratégie de communication et de lobbying visant à légitimer la dimension culturelle du jeu vidéo, voire sa dimension éducative2.  Mais au-delà des discours produits d’un côté par l’industrie et de l’autre par la réaction, qu’en est-il ?

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[Reprise] Jeux vidéo, art et culture (Sébastien Genvo)

Sébastien Genvo, maître de conférences à l’université de Lorraine, enseignant-chercheur sur les enjeux artistiques et culturels des jeux video, auteur notamment du livre, Le jeu à son ère numérique : Comprendre et analyser les jeux vidéo et qui réalise actuellement une série de vidéos (que je vous recommande) sur les théories des jeux vidéo tenait le week-end dernier une conférence intitulée Jeux vidéo, art et culture, dont je reproduis avec son autorisation le contenu ci-dessous (la transcription en texte est de moi).

Version audio, enregistrée par Nicolas Burki.

Texte

Une nouvelle forme d’art ?

Les jeux vidéo quittent peu à peu leur image traditionnelle de média pour des jeunes adolescents qu’ils avaient notamment dans les années 80. Par exemple dans les années 80, beaucoup de films mais aussi les médias, insistaient sur le fait que le jeu vidéo était avant tout pour les jeunes garçons ou adolescents.

On se rend compte que cette image de loisir pour adolescent masculin est en train de changer. Au cours des années 2000 notamment, plusieurs manifestations qui sont emblématiques de ces logiques d’institutionnalisation, de légitimation artistique et culturelle des jeux vidéo ont eu lieu : l’exposition Museogame en 2010 au Conservatoire National des Arts et Métiers, lieu symbolique par rapport à cette thématique-là et Game Story, une autre exposition qui a fait beaucoup de bruit, au Grand Palais, autre lieu très symbolique. On se rend compte que les jeux vidéo sont de plus en plus acceptés comme une forme culturelle dominante et prennent de plus en plus la voie de l’institutionnalisation en tant que forme d’art.

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Le rendement décroissant de WoW comme modèle social ?

Ce que j’entends ici par rendement décroissant, c’est le fait que le rapport entre le produit d’une action et son coût (le rendement) diminue constamment à mesure que l’on augmente l’effort pour en obtenir plus. Autrement dit, si pour obtenir un résultat Y il faut un effort de X (rendement de 100%), pour obtenir un résultat de 2Y, il faudra par exemple 3X (rendement de 67%), pour obtenir 3Y, il faut 6X (rendement de 50%), etc.

L’évolution de puissance dans World of Warcraft

Les phénomènes de rendement décroissants sont très présents dans les jeux de rôle massivement multi-joueurs (MMORPG), et ce à de nombreux niveaux. Je m’attacherai ici à l’analyse de la principale expression de ce principe : l’évolution de la puissance du joueur, en prenant comme exemple World of Warcraft, qui l’illustre parfaitement.

Dans un MMORPG, la puissance du joueur, c’est sa capacité d’agir sur le monde du jeu. Selon la classe et la spécialisation du personnage, cette capacité d’action varie : infliger des dégâts, en encaisser sans mourir, soigner ses alliés, affaiblir ses ennemis… Pour simplifier, on prendra le cas d’un personnage dont le rôle principal est d’infliger des dégâts aux adversaires ; sa puissance se mesure alors en dégâts par seconde (DPS).

Or si l’on observe la progression de la puissance du joueur au fil du jeu, on peut distinguer trois phases :

1. Une puissance de base

Chaque joueur commence avec une puissance de base et une ou deux techniques très simples, qui lui permettent d’agir sur le monde, afin de pouvoir réaliser les premières quêtes et progresser dans le jeu. De plus, de nombreuses fonctionnalités du jeu sont accessibles indépendamment du niveau, comme la possibilité de discuter avec les autre joueurs, de rejoindre une guilde, de commercer, etc.

2. Une progression rapide…qui ralentit rapidement

En quelques quêtes réussies, le personnage monte d’un niveau, augmentant grandement sa puissance. Il en est de même des niveaux suivants. Atteindre le niveau 10 prend quelques heures de jeu, le niveau 20 prend une dizaine d’heure, etc. En fait, chaque niveau est légèrement plus long à obtenir que le suivant, et pour une augmentation de puissance qui reste sensiblement identique. Dit autrement, pour un même gain de puissance, l’effort nécessaire est légèrement plus important. Le rendement (puissance/effort) est donc légèrement décroissant au fil de la progression dans le jeu.

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Idéologie du jeu vidéo 2/2

Analyser l’idéologie des jeux vidéo en étudiant leur contenu – pris individuellement ou en essayant d’en dégager les caractéristiques dominantes – permet surtout d’amorcer une réflexion sur les conditions de production des jeux vidéo. Mais cette approche, en se concentrant sur les aspects audiovisuels et scénaristiques, néglige l’aspect fondamentalement informatique du jeu vidéo d’une part, et son aspect ludique d’autre part … soit finalement les deux éléments qui constituent le cœur du jeu vidéo.

Si le contenu d’un jeu vidéo est l’aspect le plus visiblement porteur d’idéologie, c’est aussi le moins profond, puisqu’il est même parfois possible de décliner un même jeu en en changeant simplement l’habillage graphique.

Mais il existe une véritable idéologie du jeu vidéo, non pas portée par les jeux vidéo, mais contenu dans le jeu vidéo lui-même. « Le message, c’est le médium » ((« (…) en réalité et en pratique, le vrai message, c’est le médium lui-même, c’est-à-dire, tout simplement, que les effets d’un médium sur l’individu ou sur la société dépendent du changement d’échelle que produit chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes, dans notre vie. » Marshall McLuhan : Pour comprendre les médias : les prolongements technologiques de l’homme, 1964)), célèbre formule de Marshall McLuhan, s’applique peut-être plus qu’à tout autre média au jeu vidéo.

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